Soutenez-nous !

Analyse. Où en est la parité femmes-hommes à l'Assemblée nationale ?

08 mars 2023 RAPPORTS
Image post

C’est une première dans l'histoire de l'Assemblée nationale : une femme a été élue en juin 2022 à la tête de l'institution. Députée depuis 2017, Yaël Braun-Pivet est devenue la première femme présidente de l'Assemblée. Un symbole qui cache cependant une réalité : les hommes continuent d'être surreprésentés sur les bancs de l'Hémicycle. Dans le cadre de la Journée internationale des femmes, nous analysons la place des femmes au sein de l'Assemblée nationale.

Seulement 37% des députés sont des femmes

En France, comme dans la majorité des pays, les femmes sont sous-représentées au parlement. Actuellement, pendant la 16ème législature (2022-2027), l'Assemblée ne compte que 216 femmes députées, soit 37% de l'ensemble des députés.

Infographie 1

Si la proportion de femmes à l'Assemblée reste faible, elle n'a cessé d'augmenter ces dernières décennies. L'augmentation du nombre de femmes députées est liée à leur plus grande inclusion politique après 1944, date à laquelle les femmes ont eu le droit de vote et de se faire élire. Cependant, ce n'est pas parce que le principe d'égalité a été inscrit dans la loi en 1944 que la part des femmes députées a de suite augmenté. Les femmes ne représentaient que 1,4% des effectifs de l'Assemblée en 1958 et il a fallu attendre 1997 pour que ce pourcentage dépasse symboliquement la barre des 10%.

Avec la loi sur l'égalité politique entre les hommes et les femmes de 2000, le nombre de femmes à l'Assemblée a progressivement augmenté. Depuis cette loi, les partis politiques doivent payer une amende s'ils ne présentent pas assez de femmes candidates. Cette loi incite les partis à investir davantage de femmes : pendant les législatives de 2022, 44% des candidats étaient des femmes. 

Recul historique du nombre de femmes députées en 2022

Alors que le nombre de femmes députées ne cesse d'augmenter depuis les années 1980, les élections de 2022 représentent un point de rupture. Pour la première fois, la part de femmes à l'Assemblée a baissé, passant de 39% en 2017 à 37% en 2022. Cette diminution va à l'encontre de la tendance mondiale. Dans la majorité des parlements dans le monde, la part de femmes députées progresse d'année en année. Au niveau mondial, celle-ci est passée de 11% en 1995 à 26% en 2023.

Le nombre de femmes députées en France est plus élevé que la moyenne mondiale. Cependant, il y a une marge d'amélioration. En effet, la France n'est qu'à la trente-cinquième place dans le classement mondial. Seulement six pays dans le monde atteignent la parité femmes-hommes au parlement : le Rwanda, Cuba, le Nicaragua, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, et les Émirats arabes unis.

Pourquoi les femmes sont-elles sous représentées en politique ?

Les chercheurs avancent deux types d'explication à la sous-représentation des femmes : 1) les femmes souhaitent moins s'engager dans une carrière politique, et 2) il existe des barrières externes qui découragent celles-ci de devenir députée.

La sous-représentation des femmes peut d'abord s'expliquer par le manque de volonté de celles-ci à s'engager en politique. Certaines études montrent en effet que les femmes ont moins d'ambition politique que les hommes. Ce manque d'ambition peut s'expliquer par l'image de la politique véhiculée par la société : les femmes sont moins encouragées à s'engager dans une carrière politique que les hommes. Les inégalités de genre peuvent également désavantager les femmes. En effet, devant consacrer plus de temps aux tâches domestiques, celles-ci ont moins le temps de participer, souvent de façon bénévole, dans un parti, porte d'entrée d'une carrière politique. Enfin, le sexisme du monde politique peut également représenter un frein à l'engagement des femmes.

La sous-représentation des femmes peut également s'expliquer par les barrières rencontrées par celles-ci. La barrière la plus importante vient des partis politiques, qui ont un rôle clé dans la sélection des candidats aux élections. Les leaders des partis politiques peuvent ainsi avoir tendance à préférer investir des candidats hommes plutôt que des femmes.

Les solutions pour augmenter la présence des femmes

Des solutions existent pour accroître la présence des femmes en politique. Beaucoup de pays ont mis en place des quotas, obligeant ainsi les partis à présenter un nombre identique de candidats hommes et femmes. Cependant, les quotas sont efficaces s'ils représentent une réelle contrainte et si les amendes en cas de non-respect sont dissuasives. En l'occurrence, en France, il n'est pas rare que certains partis préfèrent ne pas respecter la parité au risque de payer une amende (Les Républicains et La France insoumise).

Les partis politiques n'hésitent pas non plus à contourner ces quotas. En effet, certaines formations ont tendance à investir les femmes dans des circonscriptions défavorables. En 2017, une analyse parue dans Le Monde relevait que 60% des femmes candidates au sein du parti La République en Marche et 64% des candidates Les Républicains étaient investies dans des circonscriptions difficilement gagnables.

La répartition femmes-hommes selon les groupes parlementaires

Les partis jouent donc un rôle clé dans la représentation des femmes en politique : ce sont eux qui décident qui peut devenir candidat ou candidate. Certains partis font plus d'efforts et comptent plus de femmes parmi leurs rangs. Historiquement, la part des femmes est plus importante dans les partis de gauche, des formations plus sensibles au principe d'égalité et acceptant plus facilement la mise en place de quotas. À l'Assemblée, les groupes avec la plus forte proportion de femmes sont les groupes Écologistes, la France insoumise et Renaissance.

Infographie 2

La différence entre les groupes semble aussi s'expliquer par leur ancienneté. En effet, alors que les femmes sont moins présentes au sein des deux groupes historiques (Socialistes et Les Républicains), elles sont mieux représentées au sein des nouveaux groupes parlementaires (Renaissance, La France insoumise, Écologistes, Rassemblement national). Ainsi, l'arrivée de nouvelles formations en 2017 et 2022 a permis un renouvellement de l'Assemblée et une meilleure représentativité, notamment en termes de genre. 

Les femmes ont désormais accès aux positions de pouvoir

En plus d'être de plus en plus nombreuses à l'Assemblée, les femmes ont aussi plus souvent accès aux positions de pouvoir. En France, l'élection de Yaël Braun-Pivet en 2022 au perchoir a été une première. D'autres positions de pouvoir se sont progressivement ouvertes aux femmes, notamment au sein du Bureau de l'Assemblée, l'organe qui gère le fonctionnement interne du Palais Bourbon. Actuellement, le Bureau compte 55% de femmes, alors que cette proportion n'était que de 35% pendant la 14ème législature (2012-2017).

Infographie 3

Les femmes sont aussi plus nombreuses à être présidente d'un groupe politique, un poste stratégique et très visible médiatiquement. Actuellement, quatre groupes sont présidés par des femmes : Renaissance (Aurore Bergé), Rassemblement national (Marine Le Pen), La France insoumise (Mathilde Panot), et Écologiste (Cyrielle Chatelain). Cela représente 40% des groupes politiques. Pour comparaison, cette proportion n'était que de 11% lors de la précédente législature (2017-2022).

Commissions parlementaires : division genrée du travail parlementaire

Si les femmes ont davantage accès à certaines positions de pouvoir, les avancées restent timides pour la présidence des commissions parlementaires. Actuellement, seulement deux femmes occupent ce poste : Fadila Khattabi et Isabelle Rauch . Les femmes ne représentent donc que 25% des postes de président de commission, une proportion qui a même baissé avec le temps.

La répartition au sein des commissions reproduit également les stéréotypes de genre présents dans la société. Plusieurs études ont montré que les femmes sont contraintes de siéger dans des commissions moins influentes et dans des commissions traitent de sujets dits "féminins" , comme la santé ou le social. Actuellement, les commissions les plus influentes (affaires économiques, affaires étrangères, commission des lois, commission des finances) sont présidées par des hommes alors que les commissions affaires sociales et affaires culturelles et éducation sont présidées par des femmes. 

Infographie 4

La répartition des députés au sein des commissions est également inégalitaire : les femmes sont sous-représentées dans les commissions influentes et sont sur-représentées dans les commissions des affaires culturelles et des affaires sociales. En effet, en 2023, seulement 29% des députés de la commission des finances sont des femmes contre 45% pour la commission des affaires sociales.

La représentation des femmes, quel impact ?

En plus de remettre en cause le principe d'égalité politique, la sous-représentation des femmes peut avoir des conséquences plus concrètes. Plusieurs recherches ont montré que l'absence de femmes en politique peut avoir un effet négatif sur la confiance que les femmes ont dans les institutions. La présence de femmes en politique semble également servir d'exemple à d'autres femmes et accroît leur intérêt et leurs connaissances de la politique, ce qui stimule leur participation électorale et leur envie de s'engager dans des organisations politiques.

La sous-représentation des femmes a aussi un effet plus direct sur les politiques adoptées. Plusieurs recherches montrent que les femmes députées sont plus enclines que leurs collègues hommes à défendre les intérêts des femmes. L'absence de femmes au parlement peut donc avoir une incidence cruciale sur la prise en compte des préférences et des intérêts des femmes lors des débats et des décisions politiques.

Les femmes députées à l'Assemblée ont-elles des positions différentes de celles des hommes ? L'analyse des scrutins montre que, depuis 2017, les femmes n'ont pas des positions plus sensibles aux droits des femmes lorsqu'elles votent la loi. Deux raisons expliquent ce résultat. Premièrement, les femmes députées n'ont pas toutes les mêmes positions sur les sujets liés aux droits des femmes : leurs positions dépendent davantage de leur idéologie politique. Deuxièmement, les positions de vote à l'Assemblée sont contraintes par l'unité du groupe : une femme peut voter contre un amendement sur le droit des femmes car c'est la position officielle de son groupe.

Si les femmes députées n'ont pas de positions différentes à celles des hommes lorsqu'elles votent, elles peuvent défendre davantage les intérêts des femmes dans les propositions de loi qu'elles rédigent. Pendant la législature actuelle, 71% des propositions de loi traitant des droits des femmes (IVG, violence conjugale, santé menstruelle, contraction) ont été rédigées par des femmes. Les femmes proposent donc plus souvent des textes de loi visant à défendre les intérêts des femmes que les hommes, soulignant l'importance de la parité au sein de l'Assemblée nationale.

 

Contributeurs

Awenig Marié (doctorant en sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles et fondateur de Datan), Brewalan Marié (bénévole communication et contenu pour Datan), Julien Robin (doctorant en sciences politiques à l'Université de Montréal)

 

Références

  • Back, H., Debus, M. & Muller, J. (2014). Who Takes the Parliamentary Floor? The Role of Gender in Speech-making in the Swedish Riksdag. Political Research Quarterly, 67(3), 504–518.
  • Campa, P., & Hauser, C. S. (2020). Quota or not Quota? On Increasing Women’s Representation in Politics. Free Network, Policy Brief Series. https://freepolicybriefs.org/wp-content/uploads/2020/04/freepolicybriefs20200504.pdf
  • Coulomb-Gully, M. Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles. Paris : Belin, 2016.
  • Dassonneville, R. & McAllister, I. (2018). Gender, Political Knowledge, and Descriptive Representation: The Impact of Long-Term Socialization. American Journal of Political Science, 62(2), 249-265.
  • Fox, R. L., & Lawless, J. L. (2004). Entering the Arena? Gender and the Decision to Run for Office. American Journal of Political Science, 48(2), 264–280.
  • Lovenduski, J. & Norris, P. (1989). Selecting women candidates: obstacles to the feminisation of the House of Commons. European journal of political research, 17(5), 533–562.
  • Mansbridge, J. (1999). Should Blacks Represent Blacks and Women Represent Women? A Contingent “Yes.” The Journal of Politics, 61(3), 628–657.
  • Heath, R. M., Schwindt-Bayer, L. A., & Taylor-Robinson, M. M. (2005). Women on the Sidelines: Women’s Representation on Committees in Latin American Legislatures. American Journal of Political Science, 49(2), 420–436.
  • Murray, R. and Sénac, R. (2018) “Explaining gender gaps in legislative committees,” Journal of Women, Politics & Policy, 39(3),  310–335.
  • Santana, A., & Aguilar, S. (2019). Bringing Party Ideology Back In: Do Left-Wing Parties Enhance the Share of Women MPs? Politics & Gender, 15(3), 547-571.
  • Towns , A. (2003). Understanding the Effects of Larger Ratios of Women in National Legislatures, Women & Politics, 25(1-2), 1-29.
  • Ulbig, S. G. (2007). Gendering Municipal Government: Female Descriptive Representation and Feelings of Political Trust. Social Science Quarterly, 88(5), 1106–1123.